Edna CIVIL BLANC
Consultante en environnement, correspondante du SIFÉE pour la région de la Caraïbe
Point focal national développement durable auprès de la francophonie.
Haïti, août 2019
Un pas de géant vers la mise en œuvre de l’évaluation environnementale (ÉE) et du développement durable (DD) en Haïti.
Dans le contexte de son adhésion à plusieurs engagements internationaux, Haïti travaille depuis plus de vingt ans à la mise en œuvre d’une stratégie développement durable au niveau national. Ces efforts trouvent leur ancrage légal notamment dans le Décret-cadre de 2006 portant l’intitulé « Gestion de l’environnement et la régulation de la conduite des citoyens et citoyennes pour un développement durable ». Ce décret établit le système national de gestion de l'environnement (SNGE) qui comporte notamment la création du système national des aires protégées (SNAP), de fonds à caractère écologique[1] et, le plus important, du système d’évaluation environnementale.
Afin de rendre effective cette dernière mesure, le ministère de l’Environnement (MdE) d’Haïti a conclu des accords de collaboration avec le Programme des Nations-Unis pour le développement (PNUD)[2] et l’Institut de la Francophonie pour le développement durable (IFDD)[3]. Il en a découlé la création de trois programmes fondamentaux et complémentaires :
Programme de formation en évaluation environnementale (2012-2015)
Des formations au nombre de cinq ont été réalisées en collaboration avec le Secrétariat international francophone pour l’évaluation environnementale (SIFÉE), ainsi que le concours d’experts en provenance du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) du Québec, de l’Office national de l’environnement (ONE) de Madagascar, de l’Université de Senghor Alexandrie et de l’Énergie-2050. Les formations se déclinent de la façon suivante :
Cette première formation visait à intéresser des professionnels oeuvrant dans divers champs disciplinaires à la pratique de l’évaluation environnementale et, partant, à créer un marché de l’emploi dans le domaine. La formation a permis aux participants de se familiariser avec certaines notions de base afférentes au domaine de l’évaluation environnementale, les outils et les référentiels novateurs, efficaces et très recherchés pour intégrer avec facilité ce marché encore en émergence.
Cette formation avait pour objectif de familiariser les participants avec les enjeux environnementaux et sociaux propres à la réalisation des projets énergétiques et miniers en contexte haïtien, ainsi qu’avec les mesures prises pour en atténuer et compenser les impacts, ou en maximiser les retombées.
Afin de mettre en œuvre les principes définis dans le Décret-cadre de 2006 et d’assurer le fonctionnement effectif du système d’évaluation environnementale, la formation visait à consolider les connaissances des cadres de la fonction publique haïtienne, non seulement au MdE, mais également dans les ministères sectoriels.
Cette formation visait à renforcer les compétences des collectivités locales dans le cadre d’une approche territoriale décentralisée en matière de gestion des ressources naturelles. Elle s’adressait entre autres aux autorités municipales avec pour objectifs spécifiques de les sensibiliser à des notions comme les « vulnérabilités environnementales » et les « potentialités écologiques », ainsi que de développer leur aptitude à analyser les contraintes présentes sur leur territoire et les prendre en compte dans les décisions d’aménagement.
La formation visait à développer une expertise à l’échelle nationale en matière de formation dans le domaine de l’évaluation environnementale. Elle s’adressait principalement aux institutions d’enseignement universitaire et leur personnel enseignant, et avait pour but d’intégrer l’évaluation environnementale dans les programmes sous la forme de cours dédiés spécifiquement au domaine ou de séances à l’intérieur des cours existants.
Plusieurs actions ont été initiées en marge de la réalisation de ces formations. Signalons entre autres :
Programme pour la constitution d’un cadre législatif et réglementaire, ainsi qu’une stratégie et la mise à disposition d’outils pour l’implantation effective du système d’évaluation environnementale (2013-2017).
La constitution d’un cadre législatif et réglementaire, ainsi qu’une stratégie et la mise à disposition d’outils pour l’implantation effective du système d’évaluation environnementale a mis à contribution des experts nationaux et internationaux en provenance notamment du Groupe d’étude interdisciplinaire en géographie et environnement régional (GEIGER) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et de l’Office national de l’environnement (ONE) de Madagascar. Les actions entreprises dans le cadre de ce programme sont les suivantes :
Afin de donner une base légale au système d’évaluation environnementale en Haïti comme prévu aux articles 56 et 61 du Décret de 2006, il a été proposé d’élaborer un avant-projet de loi. On y énonce les orientations générales, les principes et les règles relatifs à la mise en place d’un système d’évaluation environnementale, incluant les études d’impact environnemental et social (ÉIES), les plans de gestion environnementale et sociale (PGES), les audits environnementaux et sociaux (AES), et les évaluations environnementales stratégiques (ÉES).
Cet avant-projet de loi porte sur l’organisation et le fonctionnement du Bureau national de l’évaluation environnementale (BNÉE), incluant l’élaboration des procédures applicables à ses activités. Il était proposé de faire du BNÉE un service techniquement déconcentré, doté de la personnalité morale et de l’autonomie administrative et financière. Il était prévu également la création des Unités techniques environnementales sectorielles (UTES) dans les ministères sectoriels, ainsi que d’organismes autonomes, les « cellules environnementales » et les « cellules départementales ». La mission du BNÉE consiste à assurer la promotion et la mise en œuvre du système national d’évaluation environnementale incluant le dispositif de participation publique.
Ce guide vise à mieux clarifier les étapes nécessaires à la réalisation d’une ÉIES. Il s’adresse aux autorités publiques (MdeE) et ministères sectoriels), les initiateurs de projets, les prestataires de services en matière d’ÉIES (bureaux d’études, firmes de consultants, etc.), les organisations de la société civile et le public.
Dans les guides sectoriels, une liste non exhaustive de projets est présentée. Il s’agit de directives sectorielles portant sur la réalisation de l’ÉIES pour les projets des secteurs de développement prioritaires en Haïti. Les types de projets concernés sont :
Pour chaque catégorie de projets, le guide sectoriel présente :
La stratégie proposée pour développer le système national d’évaluation environnementale et la mise en place du BNÉE a suivi deux axes principaux.
Une démarche « participative » a été appliquée pour assurer l’adhésion des acteurs à la politique en matière d’évaluation environnementale et, partant, la mise en œuvre effective du système proposé.
La prise en charge progressive par une stratégie d’apprentissage consiste à améliorer l’organisation et le processus au fur et à mesure de l’acquisition des expériences qui permettra au BNÉE d’asseoir son autorité.
L’ensemble des mesures mentionnées précédemment avaient pour but de créer les conditions favorables à la création du BNÉE. Les efforts déployés ont abouti à la création officielle et solennelle du BNÉE, le 8 octobre 2015. Le BNÉE est la structure qui assurera désormais de la mise en œuvre de l’évaluation environnementale en Haïti.
Programme d’appui au renforcement des capacités, à l’opérationnalisation et au fonctionnement du BNÉE (2014 -2016)
Ce programme, réalisé dans le cadre d’une entente entre l’IFDD et le GEIGER, inclut entre autres :
La démarche appliquée à la mise en œuvre du programme constitue en soi une innovation sur laquelle il importe de s’attarder. En effet, les activités menées pour l’appui au renforcement, à l’opérationnalisation et au fonctionnement du BNÉE s’appuie sur :
Initiatives récentes (2017-2019)
Dans un souci de compléter la gamme d’outils disponibles, les agences des Nations-Unies, dont le ONU-Environnement et le PNUD, ont procédé récemment à l’accompagnement du BNÉE dans la réalisation d’un certain nombre de guides méthodologiques.
Il a été constaté le manque d’outils de contrôle et de réglementations appropriés en matière de sauvegarde de l’environnement, de santé et de sécurité. En effet, plusieurs promoteurs et organismes intervenant dans la plupart des secteurs de développement mettent en œuvre des projets susceptibles d’avoir des impacts sur l’environnement sans être réellement évalués. Pour pallier cette contrainte, en avril 2017 le BNEE a bénéficié de l’appui de l’ONU-Environnement en vue de l’élaboration du guide méthodologique d’audit environnemental et social (AES). Cette initiative visait à donner à tous les acteurs impliqués dans la réalisation de l’AES, des orientations techniques pour une harmonisation des démarches et une meilleure efficacité dans l’application des recommandations issues de l’audit.
Étant donné que les études et les notices d’impact environnemental et social, ainsi que les audits environnementaux et sociaux sont utilisés comme outils de prévention, en phase de planification et de mise en œuvre des projets, le BNÉE a décidé de combler les lacunes au niveau stratégique. Ainsi en avril 2018, avec l’appui du PNUD, il est parvenu à élaborer le guide général et référentiel méthodologique de l’évaluation environnementale stratégique (EES) visant le contrôle du processus de planification et la mise en œuvre des programmes, plans et politiques de développement.
Signalons que dans le cadre de la réalisation de ces deux catégories de guides, il a eu des activités visant le processus d’appropriation et des activités de formations pratiques.
Quelques défis et perspectives
Malgré la disponibilité de cette gamme d’outils, plusieurs défis demeurent à surmonter pour atteindre l’objectif de mise en œuvre effective de l’EE en Haïti :
Il s’avère crucial de garder les agents du BNÉE à leur place ce qui apparaît difficile pour le moment en raison du contexte institutionnel assez instable. De plus, il existe toujours une méconnaissance du domaine de la part de différents acteurs concernés, à savoir les ministères sectoriels, le secteur privé (promoteurs et autres), les municipalités, les bureaux d’études, les parlementaires, les médias, etc. Il manque également d’outils de vulgarisation du domaine adaptés aux diverses parties prenantes.
Les procédures administratives et le système de tarification des prestations du BNEE pour l’examen des rapports et l’établissement des permis de conformité environnementale devront être institués et être codifiés sous la forme de textes réglementaires (avant-projet de décret ou avant-projet d’arrêté).
La réalisation d’une évaluation de la performance du système en place nous apparaît nécessaire afin d’identifier les points de blocage et, le cas échéant, de proposer des activités orientées vers la consolidation des acquis, l’adoption des textes réglementaires, l’autonomisation des acteurs, notamment par rapport à la réalisation des EIES, et
L’expérience acquise en Haïti peut servir ailleurs dans le monde dans les pays qui travaillent à l’amélioration de leur système d’évaluation environnementale. Le défi consistera à faire connaître cette expérience pour le bénéfice de tous.
Références :
Civil Blanc, E., Samoura, K., Waaub, J.-P. 2017f. Bilan de la collaboration entre le MdE, l’IFDD-OIF et le PNUD entre 2012 et 2016, concernant l’appui au renforcement des capacités en évaluation environnementale en Haïti. Appui au renforcement des capacités du Bureau national de l’évaluation environnementale d’Haïti (BNÉE). République d’Haïti, ministère de l’Environnement. IFDD-OIF, PNUD, MdE. Réalisé sous la supervision de Jean-Philippe Waaub du Groupe d’études interdisciplinaires en géographie et environnement régional (GEIGER), Département de géographie, UQAM, Montréal, Québec, février 2017, p.142.
[1] Parmi lesquels le Fonds pour la réhabilitation de l’environnement (FREH)
[2] À travers le programme d’appui à la gestion de l’environnement (PAGE : 2012) et le projet d’appui au renforcement des capacités du MdE (PARC : 2013-2016)
[3] À travers le programme de maitrise des outils de gestion de l’environnement et du développement (MOGED).